Article N° 8183

PRIX DU MÉDICAMENT - PHARMACIE

Pharmacie marocaine : entre menaces et défis

Abderrahim Derraji - 07 septembre 2025 18:48
La pharmacie marocaine traverse une zone de turbulences qui ne cesse de s'intensifier. Mardi prochain, la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc (CSPM) organise un sit-in devant le ministère de la Santé et de la Protection Sociale afin de marquer son opposition au nouveau projet relatif à la fixation des prix des médicaments. Pour une profession déjà fragilisée, cette réforme pourrait avoir des conséquences particulièrement lourdes si elle ne prend pas en considération son impact sur la pharmacie d'officine.
 
Ces difficultés ne sont pas propres au Maroc. En Europe aussi, les pharmaciens subissent les politiques de baisse des prix imposées pour préserver la viabilité des caisses d'assurance maladie. 
Celles-ci sont confrontées à la flambée des coûts liés aux biothérapies et aux traitements de dernière génération. En France, par exemple, les pharmaciens viennent de se mobiliser contre un projet gouvernemental visant à ramener le plafond des remises sur les génériques de 40 % à 20-25 %, à l'étendre aux hybrides, et à fixer celui des biosimilaires à 15 %. Mais, à la différence du Maroc, le modèle de rémunération des pharmaciens français ne cesse d'évoluer. La mise en place d'honoraires et d'indemnités a permis d'amortir partiellement l'impact des baisses sur l'économie de la pharmacie.
 
Au Maroc, la situation est bien plus critique. Les maigres revenus des officinaux reposent essentiellement sur les marges appliquées aux médicaments dont le prix public de vente est inférieur à 962,70 DH, les spécialités pharmaceutiques ayant un prix supérieur à ce montant échappent en grande partie aux pharmacies. La plupart des pharmaciens n'en dispensent pas, en raison d'une disponibilité à la fois fluctuante et inéquitable, et d'une rentabilité insignifiante pour les produits les plus onéreux.
 
Sans mécanismes alternatifs de rémunération, chaque baisse, même minime, frappe de plein fouet les officines. L'expérience de 2014 reste dans toutes les mémoires. En effet, malgré les promesses d'une augmentation de la consommation des médicaments, celle-ci est restée stagnante entre 2014 et 2019. Ce n'est qu'avec la pandémie et la généralisation progressive de la couverture médicale qu'une hausse significative a été observée. Quant-au nombre important de promesses faites aux pharmaciens par leur Tutelle, elles sont restées sans suite. Et malheureusement, tout porte à croire que le scénario de 2014 pourrait se répéter.
 
Au-delà des enjeux économiques, la profession est prisonnière de textes obsolètes. Le Dahir de 1922 en est l'exemple le plus frappant. Ce texte expose encore aujourd'hui les pharmaciens à des sanctions pénales pour une simple délivrance d'une benzodiazépine ou d'une prégabaline, alors même qu'ils ne disposent d'aucun moyen efficace pour vérifier l'authenticité d'une ordonnance. Dans d'autres pays, l'ordonnance sécurisée et le dossier médical numérique ont depuis longtemps apporté des solutions concrètes.
 
La crise est également institutionnelle. Le Conseil de l'Ordre n'a pas organisé d'élections depuis 2019, se contentant de gérer les affaires courantes en attendant la régionalisation. Cette absence de légitimité fragilise l'autorité régulatrice et entretient un climat de désordre, visible notamment dans le non-respect des horaires, qui a tendance à se généraliser.
 
Revoir le mode de rémunération est devenu une priorité pour sortir de la dépendance exclusive au prix du médicament. Introduire honoraires et indemnités pour des missions de santé publique (vaccination, prévention, dépistage) permettrait non seulement de diversifier les revenus des pharmaciens, mais aussi de générer des économies pour le système de santé. Le droit de substitution, quant à lui, offrirait une marge de manœuvre supplémentaire dans la gestion des stocks et des coûts.
 
Mais la réforme ne peut pas être uniquement institutionnelle. La profession doit aussi se remettre en question en instaurant une formation continue obligatoire et indépendante, en accompagnant les pharmaciens dans la mise en place de bonnes pratiques, en garantissant le respect de la déontologie pour éviter que les dérives d'une minorité ne ternissent l'image de l'ensemble, et en encourageant l'interprofessionnalité, un élément clé pour améliorer la prise en charge des patients.
 
Par ailleurs, Amine TEHRAOUI, ministre de la Santé et de la Protection Sociale, aurait organisé le 4 septembre 2025 une réunion avec les représentants de trois organisations syndicales de pharmaciens : la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc, l'Union nationale des syndicats du Maroc et le Syndicat national des pharmaciens du Maroc. À ce jour, le ministère de la Santé n’a fait aucun communiqué de presse à ce sujet.
 
Un des pharmaciens ayant assisté à la réunion a informé notre rédaction que plusieurs responsables du ministère, dont les chefs des pôles de l'Agence marocaine du médicament et des produits de santé (AMMPS), ont également assisté à cette rencontre.
 
Toujours d’après cette source, les discussions ont porté sur les préoccupations prioritaires des pharmaciens, en vue d'identifier des solutions concrètes. Parmi les sujets abordés, la création d'une commission mixte a été évoquée. Celle-ci aura pour mission d'élaborer un cadre juridique et réglementaire adapté au nouveau modèle économique des pharmacies, visant à préserver leur équilibre financier tout en améliorant la qualité des services offerts.
Le ministre de la Santé aurait assuré aux représentants des trois centrales syndicales que leurs propositions de modification seraient intégrées au projet de décret fixant les prix des médicaments.
 
Cependant, des organisations syndicales majeures, représentant un très grand nombre de pharmaciens, comme l'Alliance intersyndicale des pharmaciens d'officine du Maroc et la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc, n'ont pas pris part à cette réunion. Une représentation exhaustive de la profession est pourtant essentielle. Et même si le Conseil de l’Ordre n’est pas directement concerné par le volet économique, il aurait dû également être associé aux réflexions en cours, en attendant que le projet de régionalisation voie le jour.
 
En conclusion, pour garantir la sérénité nécessaire au bon déroulement des négociations en cours, l'administration ne peut faire l'économie de l'implication de l'ensemble des acteurs concernés et doit instaurer un dialogue permanent et inclusif. Faut-il le rappeler, la Direction du médicament et de la Pharmacie a fait place à une Agence dont le Directeur Général est un fin connaisseur de la pharmacoéconomie et de la pharmacoépidémiologie. Il connaît particulièrement bien le secteur et ses problématiques, et plus que quiconque, il est conscient que la pharmacie d’officine est un maillon essentiel de la santé publique et l'un des piliers du projet Royal de couverture médicale généralisée. 

Source : PharmaNEWS